Interpellation : Avec ou sans glace pilée, les boissons énergisantes ne sont-elles pas dangereuses pour la santé ?

 

Stéphane Montangero, député, président du PS vaudois – Interpellation déposée le 1 décembre 2013

Une manifestation publicitaire d’envergure dans la capitale vaudoise, au nom combinant une marque de boisson énergisante et celui en anglais de la glace pilée, a fait beaucoup de bruit quant aux retombées économiques comparées aux questions écologiques soulevées.

Mais au-delà de ces aspects, la question qui se pose avant tout est celle de savoir quelle est, ou non, la nocivité de ces boissons sur la santé, notamment des enfants et des jeunes qui sont clairement ciblés dans le marketing de la firme. Cette nocivité doit être examinée, non seulement à court terme, mais aussi et surtout à moyen ou long terme.

En effet, plusieurs études, notamment celle publiée par l’institut de santé publique de Québec en 20101, par Addiction Info Suisse2 ou encore la Société Suisse de Nutrition (SSN)3, démontrent la nécessité de se préoccuper de ce phénomène rapidement, avant que les dégâts ne soient trop importants.

1 « Boissons énergisantes : risques liés à la consommation et perspectives de santé publique », Synthèse des connaissances, 2010.

2 « Factsheet Boissons énergisantes », Addiction Info Suisse, novembre 2011.

3 « Newsletter de la SSN », http://www.sge-ssn.ch/media/medialibrary/pdf/100-ernaehrungsthemen/100-newsletter/2009/Newsletter_de_la_SSN_mai_2009.pdf, mai 2009.

4 « Konsum psychoaktiver Substanzen Jugendlicher in der Schweiz – Zeitliche Entwicklungen und aktueller Stand Resultate der internationalen Studie “Health Behaviour in School-aged Children” (HBSC) », Béat Windlin, Emmanuel Kuntsche, Marina Delgrande Jordan, Addiction Info Suisse, décembre 2011.

5 http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/817.022.104.fr.pdf

Certains jeunes déclarent en consommer une ou plusieurs fois par jour, ainsi que le confirme l’enquête suisse sur la santé des écolières et écoliers d’Addiction Info Suisse auprès des élèves suisses de 11 à 15 ans4 ; cette étude révèle qu’en 1998, à 15 ans, 5.5% des garçons et 2.4% des filles consommaient des boissons énergisantes une ou plusieurs fois par jour ; les résultats de l’enquête menée en 2010 sont plus élevés puisqu’à 15 ans, 14.2% des garçons et 7.6% des filles en consomment une ou plusieurs fois par jour, soit un triplement des chiffres. Toujours en 2010, à 15 ans 59.6% des garçons et 38% des filles déclarent en consommer au moins une fois par semaine. Ce type de consommation touche également les plus jeunes : les résultats de l’enquête 2010 indiquent qu’à 11 ans, 5.3% des garçons et 1.9% des filles déclarent en consommer une ou plusieurs fois par jour.

Comme nous pouvons le constater, ces boissons qui ont su créer une véritable mode, pour ne pas dire un véritable monde, autour d’elles, visent et attirent un public jeune, voire très jeune, même si elles s’en défendent publiquement. Ce comportement ne va pas sans rappeler celui d’autres produits, dont la nocivité a été, dans un premier temps, totalement minimisé, par exemple le tabac ou l’amiante.

Ainsi, ces boissons posent de nombreuses questions, notamment dans trois domaines :

1. la nocivité des produits contenus 

L’ordonnance du Département fédéral de l’intérieur du 23 novembre 2005 sur les aliments spéciaux (RS 817.022.104), article 235, nous indique toutefois des éléments de définition relatifs aux substances contenues dans les boissons énergisantes.

Il n’existe pas de consensus sur la définition de ces boissons, mais relevons qu’elles sont exemptes d’alcool et possèdent une valeur énergétique d’au moins 45kcal/100ml, que leur teneur en caféine est supérieure à 25mg/100ml et au maximum de 32mg/100ml. L’adjonction de taurine (max. 400 mg/100 ml), de glucuronolactone (max. 240 mg/100 ml), d’inositol (max. 20mg/100 ml), de vitamines, de sels minéraux et de dioxyde de carbone est admise. 2

La caféine est un alcaloïde qui stimule la fonction cardiaque et le métabolisme. Elle diminue la somnolence et améliore momentanément l’attention. La caféine est légèrement diurétique. Les produits naturels les plus couramment utilisés sont le café et le thé. La caféine est considérée comme un stimulant cardiovasculaire et du système nerveux central, et notamment, une augmentation de la vigilance13. Chez les adultes qui ne présentent pas de sensibilité particulière à la caféine, la dose maximale est de 400 mg de caféine par jour. A titre comparatif, un ristretto en contient 40 mg, un expresso 60 mg et une tasse de café filtre entre 65 à 179 mg.

Outre la caféine, ces boissons contiennent encore d’autres substances prétendument stimulantes, telles que l’inositol, la taurine et le glucuronolactone, dont les effets n’ont jamais été clairement démontrés. Certains experts doutent encore de l’innocuité de ces substances elles-mêmes ainsi que de leur association à la caféine.

Ainsi, par exemple, la taurine est un dérivé d’acide aminé présent dans le corps humain, elle l’est également dans l’alimentation. Elle intervient dans différents processus du métabolisme. A ce jour, on ne connaît pas les effets sur la santé lors de consommation importante et sur le long terme.

Enfin, indiquons que les « Energy-shots » de Red Bull présentent un taux de caféine de 133mg/100 ml et de 1000ml/60ml de taurine : elles ne peuvent donc pas être considérées comme des boissons spéciales contenant de la caféine, au sens de l’ordonnance précitée et donc leur vente ne devrait pas être autorisée. Lors d’une émission de Canal 9, le fabriquant se justifiait en signalant que : « selon le droit suisse des denrées alimentaires, les Energy-shots se situent dans la catégorie des compléments alimentaires »6. Cela laisse songeur sur les normes légales fédérales et les marges de manoeuvres de leur utilisation possibles.

6 Emission l’antidote du 29 août 2011, Boissons énergisantes: quels risques ?

Addiction Info Suisse termine son chapitre présentant les divers produits contenus par cette phrase évocatrice : « En l’état actuel des recherches aucune étude scientifique ne peut garantir l’innocuité des boissons énergisantes et des Energy-shots tout comme un effet néfaste pour la santé. »

Pour notre part, nous aimerions avoir la certitude de leur innocuité.

2. le mélange avec de l’alcool 

L’ordonnance du Département fédéral de l’intérieur du 23 novembre 2005 sur les aliments spéciaux (RS 817.022.104), article 23, alinéa 4, indique que : « dans le cas des boissons spéciales contenant de la caféine, les indications requises à l’article 4, alinéa 1, doivent être complétées par les informations suivantes:

a. (…)

b. (…)

c. la mention «ne pas mélanger avec de l’alcool;

d. (…) »

Ainsi donc, la mention « ne pas mélanger avec de l’alcool » devrait figurer sur les emballages. Or il se trouve que cette mention a disparu depuis quelques temps sur certains emballages de boissons énergisantes.

Par ailleurs, cette mention n’est pas anodine. La combinaison entre l’alcool et une boisson énergisante est un cocktail explosif et résulte de mises en garde de santé publique. Mais, malgré la mise en garde « Ne pas mélanger avec de l’alcool », ces boissons sont vendues dans les bars, les soirées festives ou autres, en particulier aux jeunes. Elles sont fréquemment servies mélangées à des alcools forts ou parfois la cannette fermée est servie avec un verre de spiritueux.

Outre ce paradoxe, un autre problème existe : des boissons énergisantes, par définition sans alcool, font de la pub pour des boissons alcoolisées ! La loi suisse autorise en effet l’usage de noms de marques identiques pour des boissons avec et sans alcool. Pour exemple, XYZ vodka et XYZ Energy, qui est une boisson énergisante sans alcool, sont vendues dans notre pays. Il est en effet possible de 3

promouvoir un spiritueux, en l’occurrence XYZ avec ou sans alcool, qui, grâce à l’utilisation de la marque, peut faire en toute légalité de la pub, du sponsoring, de la promotion auprès d’un public jeune ! Aucune loi ne l’empêche, dès lors que les industriels ont le droit d’utiliser le même nom pour des produits avec ou sans alcool. Dans ce cas également, la loi pourrait à notre sens être renforcée, au titre de la protection des consommateurs, de la jeunesse en particulier.

3. la quantité de sucre 

Il faut encore rappeler que les boissons énergisantes sont des boissons sucrées. Elles contiennent entre 10 et 12 g de sucre par 100 ml, ce qui représente un apport de 25 à 30 g de sucre (l’équivalent de 7 à 8 morceaux de sucre) pour une canette de 250 ml. Cela les rend comparables à d’autres boissons sucrées comme les limonades ou les boissons au cola. Le sucre pur enrichit l’alimentation en énergie sans pour autant apporter de nutriments essentiels comme des vitamines ou des minéraux. De plus, une consommation excessive et prolongée de boissons sucrées augmente le risque de développer un surpoids.

Au vu de ce qui précède, nous posons au Conseil d’Etat les questions suivantes :

1. Quelle est l’appréciation globale que fait le Conseil d’Etat quant aux risques pour la santé publique ? Estime-t-il notamment qu’il y a là un risque de « bombe à retardement sanitaire », comme ce fut le cas par exemple avec le tabac ou l’amiante ?

2. Attendu que le public-cible du marketing de ces boissons est avant tout les enfants et les jeunes, le Conseil d’Etat informe-t-il ces publics-cibles privilégiés des risques potentiels de manière spécifique ? Si oui de quelle manière et à quelle fréquence ?

3. Sachant que la consommation de mélanges de boisson énergisante avec de l’alcool augmente les risques d’alcoolisation et les problèmes qui leur sont liés, le Conseil d’Etat estime-t-il que des mesures strictes de distribution ne devraient pas être émises en vue de protéger les populations les plus fragiles ?

4. Comment se fait-il que des canettes d’une célèbre boisson énergisante ne comprenant pas la mention « Ne pas mélanger avec de l’alcool » puissent être vendues sur le territoire vaudois ? Comment le Conseil d’Etat peut-il garantir que cette mention légale figure désormais sur toutes les boissons énergisantes ?

5. Pour l’ensemble des aspects relevant de la loi fédérale sur l’alcool, le Conseil d’Etat compte-t-il faire entendre sa voix lors des travaux des chambres, notamment en privilégiant la défense de la santé des jeunes ?

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