Postulat – Femmes en marche : un autre regard sur l’espace urbain

 

Sarah Neumann, conseillère communale. Postulat déposé le 15 mars 2016

L’espace public devrait, par définition, appartenir à tous. Dans les faits, la ville est un lieu investi très différemment par les femmes et les hommes au quotidien.

La politique d’aménagement urbain et d’investissements publics s’est basée de longue date sur le mythe de la canalisation d’une prétendue violence des garçons[1], privilégiant la construction d’équipements sportifs d’envergure en plein air, servant la pratique d’activités traditionnellement dévolues aux hommes, des sports dans lesquels la virilité est valorisée. Conséquence indirecte et regrettable, l’espace public appartient prioritairement à ceux qui sont conformes au modèle masculin de virilité. Les autres – les femmes, mais aussi les hommes ne correspondant pas au schéma traditionnel du mâle – s’en retirent progressivement, dès l’adolescence puis s’habituent à ne faire que se déplacer d’un point à l’autre. Chacun est en mesure d’observer que les femmes se tiennent rarement dans la rue, si l’on excepte les jardins publics où elles sont le plus souvent accompagnées de jeunes enfants. On peut également se référer à l’image symbolique de la femme immobile dans l’espace public qui est, dans l’esprit du plus grand nombre, principalement la prostituée.

Les motifs de cette répartition inéquitable de l’espace public sont multiples et historiques. Aujourd’hui encore, des études[2] expriment que certains partis pris du développement de l’espace urbain « durable » conduiraient, malgré les enjeux indiscutables sur lesquels ils sont fondés, à une nouvelle forme de domination masculine, pensée par et pour des hommes sportifs, sans charge de famille, jeunes, et valides. Sans remettre en question les évolutions de la ville d’aujourd’hui, il est indispensable de prendre en compte les préoccupations des femmes dans les aménagements de l’espace urbain.

Des améliorations notables sur un sujet aussi complexe nécessiteront des évolutions éducatives, culturelles, sociales qui prendront malheureusement leur temps et ne sont pas exclusivement du ressort communal. Ceci étant, nous proposons que la Ville de Lausanne apporte sa pierre à l’édifice et se penche sur la problématique de l’occupation de son espace urbain de la façon la plus simple : en demandant leur avis aux femmes elles-mêmes, dans une approche concrète et participative, sur le terrain.

Le concept de « marche exploratoire[3] » a été développé au Canada à la fin du siècle dernier et repris dans différentes villes de France dans les années 2000. Il s’agit de réaliser des diagnostics en arpentant les rues des quartiers pour observer le terrain. Cette action permet de faire des critiques sur le secteur, d’identifier des obstacles à la mobilité et à la sécurité des habitants, mais également de révéler des aspects positifs du milieu, dans une approche participative qui associe différents acteurs pour faire évoluer une situation.

Dans le cadre du Plan Lumière de la Ville de Lausanne, des marches exploratoires nocturnes ont été mises en œuvre dans les quartiers de Montelly et des Boveresses. Elles peuvent également être réalisées dans une approche de genre, en abordant globalement les différentes problématiques observées par les femmes dans un quartier donné.

Pour qu’elles permettent d’améliorer concrètement les conditions de vie en ville des femmes, les « marches exploratoires[4] » devraient réunir un groupe d’habitantes, des acteurs sociaux du quartier (animateurs des centres socioculturels, travailleurs sociaux hors murs), mais aussi des représentants des services communaux, notamment de l’urbanisme et de la sécurité. Cet outil facilite l’appropriation de l’espace public par les femmes, les implique concrètement dans les améliorations possibles pour leur sécurité, leur cadre de vie, et renforce leur compétence et leur légitimité par une approche démocratique et inclusive.

Par ce postulat, nous demandons à la Municipalité d’étudier la possibilité de mettre en œuvre des marches exploratoires dans différents quartiers de la Ville de Lausanne, afin de mettre en lumière les besoins spécifiques des femmes dans l’espace public et offrir des solutions concrètes aux problèmes qui seront identifiés par elles.

[1] Yves Raibaud, in Le sexe des villes a deux boules, Charlie Hebdo, 15 avril 2015 (http://www.laure-daussy.fr/cv/portfolios/le-sexe-des-villes-a-deux-boules-charlie-hebdo)

[2] Yves Raibaud, La ville durable creuse les inégalités, CNRS 2015 (https://lejournal.cnrs.fr/billets/la-ville-durable-creuse-les-inegalites)

[3] Centre d’écologie urbaine de Montréal, Outils pour transformer sa ville, Marche exploratoire (http://www.ecologieurbaine.net/fr/outils-8-test/item/85-marche-exploratoire)

[4] Comité interministériel des villes, Guide méthodologique des marches exploratoires, Cahiers pratiques hors-série, Editions du CIV (www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/sgciv-guidemarcheexploratoire.pdf )

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